En même temps, toute la terre et tout le ciel de Ruth Ozeki
La
présentation de l'éditeur :
Le
sac en plastique avait échoué sur le sable de la baie Desolation, un de ces
débris emportés par le tsunami. À l'intérieur, une vieille montre, des lettres
jaunies et le journal d'une lycéenne, Nao. Une trouvaille pleine de secrets que
Ruth tente de pénétrer avant de réaliser que les mots de la jeune fille lui
sont destinés...
Depuis
un bar à hôtesses de Tokyo, Nao raconte des histoires : la sienne, ado
déracinée, martyrisée par ses camarades ; celle de sa fascinante aïeule, nonne
zen de cent quatre ans ; de son grand-oncle kamikaze, passionné de poésie ; de
son père qui cherche sur le Net la recette du suicide parfait. Des instants de
vie qu'elle veut confier avant de disparaître.
Alors
qu'elle redoute de lire la fin du journal, Ruth s'interroge : et si elle,
romancière en mal d'inspiration, avait le pouvoir de réécrire le destin de Nao
? Serait-il possible alors d'unir le passé et le présent ? La terre et le ciel
?
Dans
la lignée de Murakami, un bijou littéraire original, inspiré des « I-Novels»
japonais, porté par une construction virtuose. Entre imaginaire et réalité, une
oeuvre à la fois profonde et pleine d'humour, intime et universelle, assortie
d'une formidable réflexion sur le temps et l'Histoire.
Avis
:
Un
sac en plastique rejeté sur une plage : a priori un de ces déchets qui
encombrent nos océans. Pourtant, en
décidant d'y jeter un œil, Ruth ouvre la porte d'un univers insoupçonné : celui
de Nao, une jeune lycéenne japonaise qui confie à l'océan son
désenchantement.
C'est
par ce tour de passe-passe, matérialisé par quelques objets hétéroclites comme
un bento Hello Kitty, une montre ancienne ou une édition d'A la recherche du
temps perdu, que Ruth Ozeki nous entraîne alternativement de l'existence de
Ruth, sur son île de Colombie britannique, au quotidien de Nao, une adolescente
lucide et désespérée. Des récits
entrecroisés passionnants !
Se
jouant du temps, de l'espace ou encore des langues, l'auteur jongle avec ces
vies que tout oppose à première vue : décor, réalité, époque, ... Après une enfance passée aux Etats Unis, Nao
se sent déracinée au cœur de Tokyo. Elle
est harcelée par ses camarades et perd pied peu à peu. Ses parents ne lui apportent qu'un maigre
soutien : son père étant aussi perdu qu'elle et sa mère aveuglée par trop de
réalisme. Le réconfort lui viendra de
ses ancêtres, ceux dont elle n'espérait plus rien. Dont elle ignorait jusqu'à l'existence. A l'opposé, menant une vie plutôt bohème,
Ruth cherche l'inspiration sur son île; le temps y semble une réalité dépassée
et les soucis sont tout autres.
Dans
cette fresque chorale, deux personnages se démarquent prennent tour à tour
la parole : Nao est une jeune fille
déboussolée. Son enfance en Californie
l'a éloignée de son pays natal; elle parvient difficilement à y trouver ses
marques. Elle cache à ses parents les
problèmes qu'elle rencontre au collègue et confie à son journal son mal-être et
ses pensées. En mal de repères, elle
trouve auprès son arrière-grand-mère Jiko qu'elle connaît à peine une grande
écoute et un soutien inattendu. Les
jours qu'elle passe en sa compagnie au temple ont la saveur de la plénitude et
de la légèreté : ils lui permettent de mettre des mots sur sa colère, de se
fixer sur ses valeurs. C'est également
lors de ce séjour qu'elle découvre également Haruki 1, son grand-oncle
kamikaze. Une figure qui lui servira de
modèle, tout comme Jiko, qu'elle contacte via sms en cas de doute. A son corps défendant, Nao est un personnage fort et plein de
ressources.
Désœuvrée
sur son île, Ruth trouve dans ce journal à la mer et dans la quête qu'elle
entreprend, une nouvelle raison de vivre et d'agir. Elle a choisi de fuir le monde en compagnie
de son mari Oliver, passionné d'écologie et de sa mère malade d'Alzheimer. Aujourd'hui, sa mère est décédée et elle
tourne en rond, coincée sur son prochain
roman... Ce sac rejeté par les flots lui
offre un dérivatif bienvenu, elle veille jalousement sur son contenu et est
contrariée de le voir au centre de l'attention des habitants de l'île. Indécise et nostalgique, elle y trouve une
raison de s'interroger, autre que le retour de l'électricité ou les aventures
du chat familial. Elle aimerait faire de
Nao le personnage d'un de ses romans, détenant alors la toute-puissance sur sa
destinée.
Au-delà
de ces personnages attachants et improbables pour certains, Ruth Ozeki
confronte également deux visions du monde.
D'un côté, ce Japon multi-facettes où modernité et traditions cohabitent
mais où réalité et légendes s'affrontent également cruellement. A l'autre bout de l'océan, sur l'île de Ruth,
la vie semble rythmée par ces déchets trouvés sur la plage; l'horizon est réduit dans cette communauté où
tout se sait, où chacun se sent impliqué au cœur de la vie des autres.
Quant
au style, il varie au gré des personnages qui prennent la parole, s'adapte tout
au long du roman, lui conférant fraîcheur et vivacité. L'ensemble est un savant
mélange de styles et d'époques : par-delà les récits de Nao et Ruth,
interviennent d'autres destinées, d'autres lieux qui tour à tour s'imbriquent
avec succès dans cet édifice délicat. A
l'image du Free Store, le magasin favori de Masako, la mère de Ruth ou de cette
bibliothèque un peu magique, cachée au cœur de la déchetterie, montée
d'ouvrages uniquement de récupération : une pépite qui semble se laisser
désirer et promet de petits instants de bonheur.
Mêlant
les genres et ne reculant pas devant les sujets sensibles, Ruth Ozeki avance
patiemment et élabore un ouvrage minutieux
A deux niveaux, voire plus,
l'intrigue est habilement construite, par petites touches, au fil du journal de
Nao : la pression de ses pairs, le désespoir de son père, le tsunami, élément
factuel survenu entre la rédaction du journal de Nao et la découvert de Ruth,
... autant de facteurs qui ont pu mettre
la jeune fille en danger et faire de son sauvetage par Ruth une chimère. Fantastique, Histoire, spiritualité,
actualité douloureuse, témoignage, magie,...
l'histoire croisée de Nao et de Ruth, telle un patchwork confortable et
harmonieux, se tisse peu à peu et aboutit à un récit passionnant, émouvant qui
laisse le lecteur charmé et étourdi une fois la dernière page tournée.
Lu dans le cadre des Chroniques de la rentrée littéraire : un grand merci à Abeline et aux éditions Belfond !
Commentaires
Tu as l'air en forme !!!
Je note, tu en parles très bien.
@ Jérôme : Oh oui, à noter !
@ Adalana : je te le souhaite, il m'a beaucoup plu !