Que de l'oubli de Pauline Guéna
La
présentation de l'éditeur :
Gabriel s'est engagé à vingt ans dans l'armée, sur un coup de
tête. Par une nuit sans sommeil, il essaie de tirer le fil de sa vie, de
retracer les chemins qui l'ont mené là. Il ne parvient à fermer l’œil qu'au
petit matin, quelques minutes avant que l'alarme sonne, qu'il prépare son barda
et se précipite dans le camion pour une opération spéciale. Le véhicule
démarre, emportant les soldats. Gabriel entend nettement un clic, celui de la
bombe qu'on arme. Trop tard pour crier. Son camion explose.
Avec la déflagration, la vie de Gabriel, celle de ses proches,
éclatent en une constellation de personnages, de lieux, de moments. Sur le
devant de la scène, les protagonistes s'avancent puis reculent au gré des
chapitres, entrent et sortent selon les époques : Géraldine, la mère de
Gabriel, qui a rêvé une vie trop parfaite, Alice, sa tante, qui lui a deux fois
sauvé la vie, Harper, sa jeune belle-mère, qui a fait de sa personne une
machine de guerre, Alex, qui n'écrira jamais le livre qu'il porte en lui.
Avec une grande maîtrise formelle, Pauline Guéna dessine un réseau
de destinées individuelles. À travers cette galerie d'individus reliés les uns
aux autres, proches un jour, séparés le lendemain par la vie, les kilomètres ou
l'oubli, elle nous dit comme le temps passe et comme il délite inéluctablement
nos désirs et nos rêves.
Avis :
Le récit s’ouvre sur Gabriel :
engagé en Afghanistan, c’est lui qui amorce la galerie de personnages mis en
scène par Pauline Guéna. C’est autour de
lui que les personnages qui suivent graviteront. Pilier central de cette histoire, il évoque
le destin qui l’a mené à cet instant précis, ce moment où tout est prêt à
basculer. Ses pensées lèvent timidement le
voile sur les vies qui viendront ensuite.
Sept personnages sont
ainsi, tour à tour, mis sous les feux des projecteurs. A la suite de Gabriel, Emma prend le relais :
stagiaire dans le cinéma, elle s’apprête à quitter la France pour un stage aux
Etats-Unis, un tournant dans sa vie.
Viennent également Mark et Géraldine, les parents de Gabriel : l’auteur
nous les présente dans des chapitres distincts, à des époques différentes. Mais pour l’un et l’autre à des moments
charnières de leur existence. Toujours
dans la famille proche de Gabriel, Alice, sa tante : un de ses repères,
son lien avec le pays. Harper prend la
suite, calculatrice, ambitieuse, très secrète : une vie faite de calculs
et de plans savamment pesés, sans aucun hasard.
Alex, un ami de famille, professeur attaché à ses rêves de toujours et à
ses amitiés. D’autres, encore, apparaissent en coulisses : réalistes, attachants,
profondément humains. Il s’en faut de
peu que certains ne volent la vedette aux premiers rôles…
Ce sont donc sept
existences distinctes que nous livre Pauline Guéna : au premier abord, on
pourrait penser qu’il s’agit de sept inconnus, sept destins sans aucun rapport. Pourtant au fur et à mesure des pages qui se
tournent, les connexions apparaissent, subtilement, discrètement. A l’image des fameux « six degrés de
séparation ».
Ces personnages ne forment
pas une histoire commune mais proposent de suivre sept lignes de vie liées, à
des moments bien déterminés. Le récit
est habilement construit : les ponts apparaissent peu à peu, le lecteur imagine
des scénarios et s’interroge à propos des personnalités mises en scène. Avec brio, Pauline Guéna passe d’un
personnage à l’autre, changeant aisément d’âge, de sexe, d’époque : les
personnages se suivent et ne se ressemblent pas. A
nouveau personnage, nouveau style !
C’est à chaque fois un univers, une logique, des émotions différents qui
s’installent à l’amorce d’un chapitre. Malgré le risque de se perdre en présentant ces
« mini-récits », l’ensemble est très réussi : l’histoire est
homogène, le passage de l’un à l’autre se fait sans difficulté, malgré les
sauts dans le temps et l’espace. Le
lecteur, intrigué, cherche à établir des connexions, se prend au jeu, aspire à
retrouver les protagonistes.
Tout en restant
profondément ancré dans la réalité, le style est travaillé, chaque mot est précisément
choisi. Avec le même soin, l’auteur
creuse chacune des vies abordées, chacun des sujets traités : amour, handicap,
maternité, … Cette recherche apporte profondeur et réalisme
au récit, émotions et sensibilité aux personnages. Ainsi, outre le thème récurrent des moments
charnières, les protagonistes, premiers ou seconds rôles, ont en commun d’éveiller
un écho auprès du lecteur : à tout instant, de petites étincelles se font en découvrant telle
facette d’un personnage et le lecteur pense immédiatement à l’une de ses connaissances. Voire se reconnaît dans le récit… Une fois n’est pas coutume, je me suis
surprise à noter l’un ou l’autre passage, particulièrement parlant pour moi.
Dans la cuisine, Géraldine préparait le dîner en le détestant de ne pas
l’aider, en détestant Alice de ne pas l’aider, en se gardant bien de demander quoi que ce
soit de peur de n’avoir plus personne à détester.
Réalisme, personnalités
attachantes, espoirs et souvenirs…
autant de points forts qui font le charme de ce roman et lui permettent
de rester vivant dans l’esprit du lecteur, la dernière page tournée.
Lu dans le cadre des Chroniques de la rentrée
littéraire : un grand merci à Abeline et aux éditions Robert Laffont !
Commentaires
Bise